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La
Légende
de
Geneviève de Brabant
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Chapitre
I
La femme en
blanc
Il était une fois dans un bois très feuillu, sombre et
inquiétant, une cabane envahie par le lierre. Seule, une lucarne voilée de
toiles d'araignées, éclairait l'intérieur modeste. Près de la
cheminée, une femme tout de blanc vêtue, berçait tendrement un enfant. Sa robe
de mousseline, d'une blancheur étincelante, détonnait dans la
pénombre. L'enfant, aux joues rosies par la chaleur du feu, était blotti
contre le sein de sa mère, heureux, confiant. Tout était paisible, on
entendait juste le feu crépiter et le chat roulé en boule, sur une chaise
paillée, ronronner. Soudain, un craquement terrible se fit
entendre !!!………… A l'extérieur, un éclair frappa un vieux pin centenaire,
réduisant en cendres, toutes ses années de domination sur la forêt. Le
bébé, si bien installé, n'entendit par miracle, ni le fracas de la foudre, ni
le long hurlement de ce vieil arbre. Mais la femme et le chat en restèrent
pétrifiés ! Ils savaient ce que cela signifiait ! C'était le signal d'une
longue, très longue nuit de peur et d'incertitude… Cela voulait dire qu'il
était là, dans les parages, tapi dans un buisson, aux aguets… La Dame tout
de blanc vêtue, frissonna…
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Chapitre II
L'orage
Dehors, c'était
la tourmente, les éléments du ciel se déchaînaient. La flamme de l'unique
chandelle, posée sur la table, vacilla ; puis un souffle de vent s'engouffrant
sous la porte, l'éteignit. Ce n'était que vacarme, éclairs aux lumières
aveuglantes ! La Dame, malgré sa terreur, hésitait à bouger ; son enfant
dormait si profondément qu'elle craignait de le réveiller.
Brusquement, le calme se fit.
L'orage s'éloignait ; le tonnerre grondait au loin comme un chien flairant une
présence nuisible. Geneviève se remit à respirer normalement ...
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Chapitre
III
L'enfant, la fleur de la vie
C e furent les premiers gazouillis des
rouges-gorges qui la réveillèrent. Au petit matin, le sommeil avait eu
raison d'elle et de sa peur mais la jeune femme savait qu'une nuit de pleine
lune, il reviendrait et que l'orage ne la sauverait peut-être pas
! L'enfant, lui aussi, s'éveilla et aussitôt réclama son déjeuner. Elle
dénuda son sein blanc pour rassasier son petit et, contemplant son minois si
joli, laissa, comme souvent, vagabonder ses pensées : " Cet enfant était
sa vie " Pourtant, il lui arrivait de se demander pourquoi elle avait
accepté de porter cet enfant ? Son destin lui serait si lourd à assumer
! Au fond d'elle-même,
elle en était angoissée mais la réponse était limpide : Il était
la fleur d'un amour passionné dont hélas, les pétales délavés, au parfum
suranné, étaient archivés précieusement dans sa mémoire. Le Prince Alphonse de
Brabant, son époux, père de son enfant, était sous l'emprise d'un être
maléfique, ce Wolf cruel, bête immonde qui la terrorisait.
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Chapitre
IV
Un hurlement dans la nuit
La journée se
passa paisiblement à soigner ses roses, admirables objets de la Création.
Cependant, sa préférence allait à ses petites fleurs de lin, en apparence
insignifiantes, mais dont le bleu si tendre lui rappelait les yeux de
son bébé, pur, confiant et fragile.
Arnaud, assis
sur un tapis blanc, posé à même les herbes folles, jouait avec un rien, comme
font tous les petits. Il suivait du regard les papillons qui volaient autour
de lui, créant ainsi un ballet silencieux.
Quand la nuit tomba, la lune apparut, claire et
blafarde. Geneviève qui avait pris pour habitude de la consulter chaque soir,
appréhendant le pire, ne savait que penser aujourd'hui : un halo rougeâtre
auréolait le disque d'argent! Elle se mit à espérer…lorsqu'un hurlement, long
et plaintif, se fit entendre, déchirant le ciel et la forêt
: - Seigneur, non pas lui !
pas lui ! implorait la dame au bord du
désespoir. - Pas Wolf, je
vous en prie ! La lune impassible devenait de seconde en seconde plus livide,
la déesse des Ténèbres semblait craindre, à son tour, l'apparition de Wolf. Il
voulait lui enlever son fils ! Elle aurait préféré passer une nuit en enfer plutôt que
de subir cette attente insupportable mais les entrailles de la Terre,
elles-mêmes, avaient fermé leurs portes à Wolf…son Seigneur … cet homme
qu'elle avait tant aimé avec toute l'innocence de sa prime jeunesse, et
dont la seule pensée, à présent, la terrifiait.
Soudain, le chat cracha en direction de la porte ; ses poils
noirs se hérissèrent et son dos rond ressembla étrangement à une boule de
piquants. Il sauta de la chaise et s'engouffra sous le lit. De sa cachette improvisée,
il pouvait tout à loisir, observer sans être vu et assister à la scène qui va
suivre, sans courir de danger...
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Chapitre
V
Un homme dans la maison de bois
La Dame vêtue de blanc, alertée par son chat, se cacha
précipitamment derrière le paravent où dormait son enfant. Tous ses sens en
éveil, elle entendit à l'extérieur de la cabane, le bruit d'un pas pesant,
écrasant le chemin de terre gorgé de pluie de la nuit précédente. La porte
s'ouvrit lentement en grinçant sous ses gonds… Le souffle retenu et
le cœur battant violemment dans sa poitrine, Geneviève ferma les yeux pour
enfouir sa peur au fond d'elle-même. Pourtant, les paupières closes, La
Dame de Brabant, percevait avec une intensité accrue, cette présence, par l'ouïe
et l'odorat. Elle distinguait des frôlements, des bruissements, des cliquetis,
l'odeur pénétrante de l'herbe mouillée, de la fraîcheur de la nuit et de la
forêt. Ce n'était pas
Wolf ! Ce n'était pas l'animal ! Elle en était certaine car aucune respiration
haletante ne brisait le silence ; sa curiosité aiguisée, elle ouvrit les yeux
: l'ombre qu'elle voyait à la faveur de la clarté de la lune, était celle d'un
homme.
Un homme s'était glissé furtivement dans la chaumière !!
Elle n'aurait su dire pourquoi mais cette constatation la rassurait et sa
terreur, à son grand étonnement, semblait s'être dissipée, car rien à ses yeux
ne pouvait être pire que Wolf et... avant même, qu'elle ait eu le temps de
réagir, elle se sentit happée, enveloppée par cette silhouette.
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Chapitre
VI
Le
Chevalier
E lle voulut se
défendre, crier, mais ses lèvres furent scellées par d'autres lèvres,
presque brutalement par un désir trop longuement contenu, puis tendrement,
comme un couple d'amants ayant craint ne jamais se revoir. Le
Chevalier amoureux ne se lassait de couvrir de baisers tendres, le
visage de la Dame en blanc, de caresser ses longs cheveux de soie, lui
procurant ainsi des frissons brûlants de la naissance de la nuque à la chute
des reins et le vent glacé qui passait sous la porte semblait un alizé chaud
et humide. La Princesse abasourdie par cette apparition inopinée,
n'osait croire à l'exaucement de sa prière quotidienne de retrouver le
Chevalier Patrice de Klendathu. Depuis de longs mois, elle espérait sa venue,
cachée dans sa maison de bois, angoissant toutes les nuits, face à sa solitude
et à celle de son enfant. Ils étaient tous deux, loin de toute
civilisation, perdus au milieu de la forêt, en proie à d'éventuels
mécréants ou bêtes sauvages... Ce soir pourtant, dans la
chaleur des bras qui l'encerclaient, ses tensions intérieures fondaient, ses
peurs s'évanouissaient, avec lui elle se sentait rassurée. Elle le prit par
la main et dans la pénombre, l'entraîna vers sa couche. L'homme se laissa
guider par elle et s'affala sur le lit, épuisé par la longue route harassante
qu'il venait d'effectuer pour la retrouver. Cette femme avait sur lui des
pouvoirs envoûtants et pour l'amour d'elle, il n'avait pas hésité
à renoncer à son fief, à franchir des montagnes arides, et des lieux
maudits Sans quitter des yeux sa bien aimée, il ôta ses bottes et se
dévêtit ... et quand son corps dénudé se glissa dans les draps frais, un
demi-sourire de plaisir se dessina sur ses lèvres, suivi d'un soupir de
béatitude. Sur la vieille commode, une chandelle se consumait lentement. Sa
lueur ambrée et vacillante lui renvoyait une étrange vision, floue,
presque irréelle d'un spectre frémissant, au contour indéterminé : la robe
blanche, diaphane, semblait danser au centre de la pièce. Il n'apercevait
pas le visage plongé dans l'obscurité, juste la blondeur des cheveux se
balançant au gré des moindres mouvements que faisait Geneviève en
dénouant sa ceinture bleu de ciel. La belle, elle non plus, ne le quittait
pas des yeux, charmée de voir son amant se prélasser, s'étirer de
bien-être comme un chat indolent. D'un geste lent, calculé pour attiser le
désir du chevalier, elle fit glisser sa robe qui s'étala en corolle à ses
pieds, et avec la même lenteur, s'approcha de la couche et s'étendit contre
lui. Patrice avait fermé les yeux pour savourer l'intensité de cet instant
tant de fois imaginé. Immobile, les paupières closes, il sentit contre son
corps, le satin de la peau et la caresse de sa main, sur son visage. Ce geste
presque maternel fit disparaître d'un seul coup, toute trace de fatigue, et un
désir fou s'empara de lui …mais pendant ce temps, le chat coquin, tapi sous le
lit, jugea qu'aucun danger n'était en vue et silencieusement, à pas de
velours, sortit de sa cachette et…
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Chapitre VII
Une nuit d'amour
insolite
S
ilencieusement, à pas de velours, il sortit de sa cachette et sans
façon, sauta sur l'édredon, désireux de comprendre ce qui occasionnait tous
ces petits bruits qu'il entendait et tous ces mouvements de houle que le
sommier, au-dessus de sa tête, subissait. Aussitôt en contact avec
l'étoffe, il laboura, de ses pattes avant, le moelleux du capitonnage et
un ronronnement de satisfaction s'ensuivit. Au milieu de leurs ébats,
les amants réfugiés dans un monde éthéré où eux seuls existaient et planaient,
n'avaient pas remarqué la présence du félin. En
petit chat curieux, il continuait son exploration ...d'une patte
hésitante, il tenta une approche et posa celle-ci délicatement sur la cuisse
de Patrice. Celui-ci tressauta à ce toucher inattendu tandis que la jeune
femme, surprise par son geste brusque, ouvrait les yeux. Tous deux
venaient de reprendre contact avec la réalité d'une bien étrange façon : ils
étaient, bel et bien, trois dans le même lit !
- Oh non ! le
chat ! fit Geneviève d'un ton alangui quelque peu
contrarié - Eh oui ! ton chat ! répliqua Patrice amusé.
De la main, le jeune homme tenta
de déloger le minet qui sans la moindre gêne et guère effarouché, leur
grimpait dessus, escaladant les bosses et s'enfonçant dans les creux pour se
faire un nid douillet...Il faisait mine de ne rien comprendre et s'installa
confortablement au beau milieu de la couche où il entreprit de se lécher
consciencieusement la patte... La Princesse et le Chevalier dont la place
était, à présent, plus réduite, s'étaient retranchés sur le bord du lit avec
une furieuse envie de rire au regard de la situation. Ils prirent le parti
de l'accepter avec eux et ...Une tendre complicité s'instaura entre les trois
partenaires, une sorte de jeu amoureux où chacun transposait dans le
plaisir, le délicieux langage des félins. Dans la pièce, les ronronnements
du chat noir se firent plus sonores ; dans sa jolie petite tête, il imaginait
que les mots caressants, les gémissements voluptueux, les susurrements, les
soupirs, les petits cris, les " hannn " sensuels, les " Ah ouii mon joli minou
" " oh oui mon petit chat "... lui étaient adressés !!! Tout se passait merveilleusement bien...jusqu'à ce que le
Chevalier prononce ces mots fatidiques :
- Oh ma douce
minette, que je t'aime !!
Là, le matou réalisa en une fraction de seconde,
que ce langage amoureux ne lui était pas destiné : on venait de l'appelait "
minette " !!! Terriblement vexé dans sa condition de mâle, il ne put
supporter plus longtemps l'offense, l'humiliation était sans précédent
! D'un bond énergique, il quitta le lit pour retourner bouder, sur sa
chaise paillée.
Le départ du matou froissé ne
les contraria nullement ; la place dans le lit était plus spacieuse et ils
purent reprendre leurs jeux amoureux avec une insatiable gourmandise
jusqu'à ce que la douce Morphée ne les entraîne dans les profondeurs du
sommeil dont elle seule détient les
secrets
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Chapitre VIII
Des traces de pas
P ar la lucarne encombrée de lierre et de toiles
d'araignées, on ne distinguait aucune forme à plus de cinq pas ; une brume
épaisse, mouvante comme une vapeur, s'était collée aux carreaux et empêchait
l'aube de poindre La Princesse ouvrit les yeux sur ce triste décor et
frissonna en l'absence du soleil. Elle se tourna bien vite vers son
amant pour chercher dans ses bras, un peu de chaleur, mais la place à côté
d'elle, était vide. De la main, elle caressa le drap froissé et constata qu'il
était encore tiède - il n'y avait donc pas très longtemps que Patrice était
levé. Elle n'éprouvait guère l'envie de bouger car elle se sentait
lasse - la nuit avait été courte - pourtant, le chat noir, juché sur sa chaise
l'inquiéta ; il la regardait fixement de ses yeux aux pupilles
agrandies, signal d'un danger imminent. Troublée par ce regard et le
silence ambiant, elle sortit du lit et se précipita à l'extérieur de la
chaumière. Après quelques mètres parcourus à tâtons, dans cette buée
de lavoir, elle rebroussa chemin : le Chevalier n'était plus là, ce qui la
contraria vivement ! Pourquoi
était-il parti sans lui dire au revoir ? Un sentiment
d'isolement amplifié par le brouillard hermétique, enveloppa ses frêles
épaules d'un manteau de plomb; elle se retrouvait une fois de plus, seule,
perdue et prisonnière de ces bois. Une pluie fine et glacée
s'était mise à tomber. Elle tenta de courir pour regagner au plus vite la
cabane mais son corps fût pris d'un tremblement compulsif; ses jambes, sous
elle, chancelaient, ses pieds nus pataugeaient dans la boue et sa robe légère
enfilée à la hâte, trempée, lui collait au corps comme une seconde
peau.
Elle atteignit tant bien que mal, le seuil de la porte, mais s'y elle arrêta
net. Profondément incrustées dans le sol boueux, elle remarqua des traces
de pas ou plutôt des empreintes de pattes aux griffes énormes. Elle
se mit à trembler de plus belle...Il était donc là, dans les parages ! Aucun doute
! Elle ressentit sa présence, sa puissance, toute
proche ! Tétanisée par la peur mais désireuse cependant, d'affronter la bête
démoniaque qui hantait ses nuits, la Dame en blanc se retourna
lentement... Tout semblait se dérouler au ralenti comme dans un
rêve... Et elle le vit....dressé devant elle
!
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Chapitre IX
La
bête…Wolf
E t elle le vit....dressé devant elle De taille gigantesque,
dix hommes bien armés n'auraient pu en venir à bout ! Mi homme, campé sur
ses membres inférieurs, mi-animal par sa posture légèrement penché vers
l'avant, tel une bête prête à bondir sur sa proie dans un assaut
meurtrier. Ses mains ...ou plutôt ses pattes velues étaient démesurément
longues, dotées d'horribles griffes recourbées. Mais le plus effarant était
la tête ...Une tête monstrueuse de loup, à la crinière de poils sombres,
frangée d'une auréole blanchâtre, au milieu de laquelle
étincelaient des yeux d'un bleu métallique aux éclairs
fulgurants. Hypnotisée par eux, Geneviève se sentit incapable d'un
quelconque mouvement de fuite, ses jambes sous elle se dérobaient et son corps
semblait se liquéfier. Soudain, la gueule de la bête s'ouvrit dans un rictus
presque humain, découvrant ses crocs aiguisés. Il émit un grognement sourd,
émergeant des profondeurs d'outre-tombe, en s'avançant vers elle.
La terreur de la jeune femme avait atteint son paroxysme ; sans réaliser la raison,
une violente douleur l'atteignit, elle poussa un hurlement déchirant qui se
répandit en écho dans la forêt. Ensuite un tourbillon infernal la souleva de
terre et elle perdit connaissance.
Un temps indéterminé s'écoula avant que la
princesse ne se réveille ; couverte de sueur, elle grelottait de fièvre au fond
de son lit. Incapable de fixer ses pensées, elle ignorait où elle se trouvait,
son cerveau était vide. Pourtant, dans un réflexe de mère, elle se leva, le
cœur battant, pour voir son bébé. Le berceau était vide, son enfant
n'était plus là ! D'un rapide coup d'œil, elle le chercha sur le sol,
espérant apercevoir son petit corps dodu crapahutant joyeusement à quatre
pattes comme il lui arrivait de le faire ces jours derniers mais la petitesse
de la chaumière lui fit comprendre bien vite qu'il n'était plus dans la
pièce. Elle s'effondra sur la chaise paillée, sa tête entre les mains et
elle sanglota longtemps, longtemps. Dans son esprit au bord de la folie, elle
essayait en vain de comprendre
:
- Etait-elle en train de faire un cauchemar
? - Où était son enfant
? - Où était Patrice
? - Où avait disparu
la bête ? - Même son chat n'était
plus à sa place habituelle près du feu ! Ne trouvant aucune
réponse, elle s'élança comme une folle à l'extérieur pour partir à la
recherche des trois êtres qu'elle chérissait le plus au monde. A travers le rideau de pluie, elle crut
voir une ombre furtive et même entendre le galop d'un cheval, mais elle
n'était plus sûre de rien. Elle parcourut ainsi les bois jusqu'à la nuit
en appelant Patrice, son chevalier bien aimé mais seul, le bruit
de la pluie dégoulinant sur les feuilles des arbres, lui répondaient en
chuchotant. Sans s'en rendre compte, elle avait marché en cercle et elle fut
toute surprise d'apercevoir sa cabane. Elle voulut courir pour s'y réfugier au
plus vite mais épuisée de fatigue, ses pieds lourds et douloureux
heurtèrent une racine et elle tomba à genoux ; les mains
jointes, la princesse balbutia des mots de supplication, des sons
incohérents...
… et comme par miracle, au milieu de son immense détresse, un doux
frôlement sur son bras la ramena à la vie... Son chat était à ses
pieds.
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Chapitre
X
Une femme des bois
D epuis la disparition
subite de son enfant et de son Chevalier, Geneviève vivait prostrée dans
sa maison de bois. Elle avait perdu le goût de vivre. Elle passait ses
journées devant l'âtre, l'esprit égaré dans la fascination des braises
ardentes, à écouter leur conversation légère et crépitante, à s'émerveiller du
feu d'artifice multicolore des étincelles ; celles-ci donnaient un semblant
de vie à la petite pièce et plus particulièrement à ses yeux dont les
prunelles s'étaient délavées par tant de larmes versées. Ce soir, elle ne
pleurait plus, la nappe souterraine était tarie et son ventre qui
n'était que gargouillis et spasmes la faisait horriblement souffrir. En
automate, elle se leva, dérangeant de la sorte, son chat qui passait les
journées interminables de l'hiver auprès d'elle ; il avait adopté les
habitudes de sa maîtresse bien aimée et délaissé pour elle, sa chaise de
paille : dès qu'elle s'asseyait devant le feu, il se couchait en rond
sur ses genoux, minaudant pour essayer de la distraire de sa
peine. Geneviève alla chercher dans le petit appentis qui
lui servait de garde-manger, la cruche pleine de lait de sa chevrette " Câline
" Elle remplit un bol du précieux breuvage et l'adoucit d'une cuillerée de
miel d'acacia ; le petit îlot ambré flotta quelques instants à la surface de
cette mer de lait puis s'enfonça en tourbillonnant. D'un geste
lent et délicat, elle remit le pot de miel sur l'étagère ; il était si
joliment décoré avec son ruban d'organdi bleu et surtout, il était le dernier
cadeau de Patrice. Par ce présent gourmand, elle voyait le témoignage de ses
douces attentions envers elle, tant par la connaissance de ses goûts que par
le choix du ruban bleu, portant haut les couleurs de sa Princesse
adorée. Le chat noir l'avait suivie, reniflant l'odeur alléchante du
lait, il s'approcha d'elle et lui caressa la cheville d'un coup de sa queue
en panache. La Princesse n'oubliait pas son petit compagnon ! Elle lui versa un
peu de lait dans une écuelle de bois et émietta dedans du pain
dur. Ensuite, elle revint prendre place auprès du feu et but à petites
gorgées le seul aliment qu'elle pouvait avaler. Son aspect actuel était devenu
pitoyable; d'une maigreur extrême, son titre de Princesse n'était qu'un
lointain souvenir, sa chevelure elle-même retenue par un morceau de raphia
ressemblait à un écheveau terne de filasse : elle s'était métamorphosée en une
femme des bois, sans apparat, dépourvue de toute féminité. Le regard fixé
sur le bois embrasé, hypnotisée par les flammes, à la limite de
l'endormissement et engourdie par la douce chaleur, elle rêvassait tout en
caressant longuement son chat avec ce besoin maternel qu'ont les femmes,
de ce contact chaud et combien vivant. Celui-ci ronronnait à qui mieux-
mieux, déferlant sur elle des flots de perles, arrondis, de colliers de
ronrons. Oubliant volontairement son bébé pour ne pas replonger au milieu
de l'enfer de son tourment, elle resongea à sa dernière nuit avec Patrice.
Machinalement, elle s'enlaça avec un petit soupir de plaisir comme si ses
propres bras étaient ceux de son amant et elle se berça en tentant de
fredonner très bas quelques mots d'une vieille ballade : - une
jolie princesse effarouchée.... un bel étranger a rencontré... Mais le
fait de ne plus parler à personne, seul des sons éraillés sortirent
péniblement de sa gorge et se perdirent sur ses lèvres. Une
violente crise de toux la secoua. Dans la cheminée, un sarment
à demi consumé crépita de façon désordonnée provoquant une
gerbe d'étincelles lumineuses ; l'une d'elle l'atteignit au poignet. Elle massa
légèrement sa main pour estomper cette petite piqûre superficielle mais cuisante,
évitant de toucher à la griffure qu'elle avait depuis le matin du drame
et qui s'était infectée. Cette lacération était l'unique signe qu'elle
n'était pas l'objet de fantasme ou d'hallucination ! Les stigmates
étaient bel et bien gravés à côté de son anneau d'or tressé, pacte d'alliance
avec Alphonse de Brabant. La Dame fit virevolter la bague autour de son annulaire amaigri, elle n'avait jamais réussi à
s'en séparer car elle était consciente de son appartenance à son époux.
- Je t'ai tant aimé !
murmura-t-elle sans qu'un son ne sorte de sa bouche, comme une confession
intime - Tant
aimé, mon Prince !
Un pâle sourire étira ses lèvres
sèches et devant ses yeux, le fil d'Ariane se déroula en même temps que
sa vie passée...
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Chapitre XI
La fille du Lieutenant Martens
Au Nord de la Gaule, dans la contrée, occupée dans
des temps plus anciens par les Celtes et que l'on nommait
communément " la Gaule Belgique ", le Brabant figurait comme un cœur battant
en son centre. Partageant l'aridité des plaines des Flandres et la luxuriance
des forêts de l'Ardenne, il était parcouru par la Senne ; la rivière
avait attiré sur ses rives, les commerçants, les artisans, et autres
populations disparates. Les maisons de torchis, aux poutres apparentes, les
demeures plus cossues à colombages et chiens assis, poussaient telles
des champignons et rapidement, une petite bourgade avait vu le jour.
Sur les faibles hauteurs des plateaux environnants, Le Château
des Cygnes dominait la vallée ; il était devenu au fil des guerres, la demeure
de la famille Princière de Brabant. A la sortie du bourg,
dans une modeste ferme, vivait le Lieutenant Augustin Martens, rattaché à la
Garde Privée du Prince. Ce matin là, le Lieutenant faisait les cent
pas devant sa maison. Il était nerveux...pour la première fois, depuis
qu'il était à son service, le Prince de Brabant allait l'honorer de sa visite,
en se déplaçant en personne ! La pauvre Amélie, son épouse, était
tout autant angoissée que son homme, à la pensée de se retrouver devant un
personnage de qualité et de haut rang ! Elle s'activait à l'intérieur, petite
fourmi laborieuse, rangeant et dérangeant le mobilier précaire pour lui
donner un aspect accueillant ; cirant une fois encore, la grande table
luisante semblable à un miroir ; ajoutant quelques brassées de fleurs par ci,
par là pour égayer l'austérité du décor. Les minutes paraissaient
des heures et le valeureux soldat, discret, dévoué et obéissant aux moindres
désirs de son Altesse Alphonse de Brabant n'en menait pas large ! Enfin,
dans un bruit assourdissant de galop, hennissements de chevaux et cliquetis
d'armes, le Prince suivi de sa garde, apparut sur son cheval noir, soulevant
un nuage de poussière dorée par le soleil des petites
heures.
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Martens se précipita au devant de son Suzerain et
le salua à la manière des soldats ; il le fit entrer dans sa maison où
il lui présenta son épouse. Amélie s'inclina devant lui et tenta une
révérence, qui s'avéra malheureusement être un tantinet maladroite, n'étant
guère habituée au protocole de la Cour ! Elle parvint cependant à émettre
quelques mots avec une voix légèrement tremblante. Mots, par ailleurs, qu'elle
avait répétés des dizaines de fois
: - Si Monseigneur veut
bien se donner la peine de me suivre dans le jardin
... - Bien volontiers,
Madame, répondit-il, l'idée est excellente, l'air est frais ...profitons de ce
répit ! car la journée s'annonce très chaude
!! Le jardin n'était pas très
grand, il était clos par une barrière de bois, ce qui lui donnait l'aspect
d'un jardin de curé avec l'intimité et la sérénité qu'il y règne. C'était une
profusion de fleurs sauvages où les couleurs chatoyantes avaient une
prépondérance sur la rareté des espèces, elles se mêlaient aux senteurs des
plantes aromatiques avec désinvolture, sans se soucier ni de rang ni de
classe. Le Prince de Brabant était de bonne humeur, cet environnement lui
plaisait. ! Il s'installa sur un banc de bois devant une petite table.
Rarement, il ne se préoccupait de la vie privée de ses sujets, trop
occupé à guerroyer ou à ses propres loisirs un peu débridés. Il
fallait sans doute, une raison importante à cette visite inopportune " La
Saint Jean " Les deux hommes installés se mirent à parler de la chasse à
cour prévue à cette occasion, pendant qu'Amélie préparait, dans sa cuisine, la
collation qui devait être servie au Prince. Quelques instants après, elle
en sortit suivie d'une jeune fille tenant un plateau couvert de gâteaux et de
boissons. La jeune fille s'approcha d'Alphonse de Brabant et sans aucune
gêne, lui demanda : - Sire,
puis-je vous proposer une part de gâteau? je l'ai fait moi-même en votre
honneur. Cette voix musicale chatouillait agréablement les oreilles, si
bien que le Prince leva la tête et quand ses yeux se posèrent sur elle, il en
fut ébloui. Il resta quelques secondes interloqué, puis d'un ton chargé
d'émotion, lui répondit :
- Avec plaisir, ma chère
enfant. Mais quel est donc votre prénom ? - Geneviève,
lui fit elle, en esquissant une délicieuse
révérence. Le lieutenant amusé
par la scène se leva et prenant la main de l'enfant, annonça fièrement :
- Sire, je vous présente ma fille cadette. Elle
vient d'avoir seize printemps. La fille du Lieutenant saisit à
nouveau, des deux mains, son jupon de percale et fit une profonde révérence.
Le Prince surpris d'apprendre que son fidèle soldat avait des enfants et
particulièrement une fille aussi charmante, ne la quitta plus du regard car
elle était de loin la plus belle de son
Royaume...
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Chapitre XII
Dans le jardin…
A compter de ce
jour, le Prince se rendit souvent chez son Lieutenant. Il trouvait toujours
prétexte à ses visites : régler avec lui les derniers préparatifs de la Saint
Jean, discuter de certaines affaires militaires préoccupantes, mais en vérité,
la raison était celle du cœur : il n'avait qu'une hâte, celle de revoir
Geneviève. Cette jouvencelle à la fleur de l'âge, le subjuguait, elle semblait
sortie des contes de son enfance, une fée aux mille grâces tant par sa voix
musicale que par son sourire lumineux, irradiant comme un soleil. Devenu
intime de la famille Martens, Alphonse de Brabant s'arrogeait le droit de
s'installer au jardin dès qu'il pénétrait dans la petite maison. Cet endroit
bucolique lui plaisait particulièrement, il embaumait l'odeur des fleurs et il
y percevait, là, la présence et l'âme de la jeune fille. Elle seule, en
effet, s'occupait à cette tâche, qui pour elle et elle le clamait bien fort,
ne ressemblait en rien à une besogne mais à un réel bonheur. Amélie,
toujours intimidée par cet homme de Haut Rang, s'était cependant accoutumée à
sa venue régulière ; elle s'empressait de le mettre à l'aise, en l'installant
confortablement à l'ombre du saule et lui servait sa boisson favorite,
un gobelet de leur meilleur vin ou quand le soleil était trop ardent, un
simple verre d'eau fraîche, tirée du puits et légèrement citronnée.
Le cadran solaire rivé au mur de torchis de la ferme, marquait
de son ombre, approximativement, 9 heures du matin ; de Brabant
conversait joyeusement avec son Lieutenant, par instant un peu distrait,
cherchant du regard, au milieu des fleurs, Geneviève. Il l'aperçut près
de la clôture, à genoux sur un petit tapis de jute, désherbant les pois de
senteur au subtil parfum, dont les hampes virevoltantes violines et rose
surannée, s'étaient accrochées au grillage ; envahis d'herbes folles, ils
avaient un aspect négligé qui ne convenait guère à la demoiselle !
Son père n'était pas dupe des nombreuses visites de son Prince ; il
comprenait les choses de la vie et bien qu'il protégeât sa chère petite de
toute approche de la gente masculine, il eut pitié de lui et de son
embarras à aborder sa fille. Il l'appela
: - Geneviève ! Ma fille ! Viens
donc saluer sa Majesté ! - Oui
mon père, répondit-elle gaiement, en se relevant et en secouant vigoureusement
son tablier de gros coton bleu
délavé - ... je viens
tout de suite, mon père ! Il me faut d'abord me laver les mains
Quelques minutes s'écoulèrent où le bruit de l'eau ruisselant
dans un seau de zinc, leur parvenait dans sa fraîcheur cristalline ; puis elle
réapparut s'essuyant les mains à son tablier qu'elle venait de dénouer Le
Prince, le cœur battant, le sourire aux lèvres, la contemplait, il constata
une fois encore que sa garde-robe ne devait pas être bien garnie car depuis
qu'il avait fait sa connaissance, elle était toujours vêtue d'une simple robe
de cotonnade blanche, à petits volants, la taille enserrée d'un foulard de
tissu bleu ciel ! Mais ce fait ne le dérangeait pas, sa modeste tenue
l'émouvait, elle lui donnait un charme fou de jeune vierge, empli de
candeur et de pureté.....une sorte de simplicité qu'elle portait comme
l'on arbore la noblesse. Elle se déplaçait avec légèreté entre les
petits chemins de pierraille qui séparaient les massifs de fleurs, des rangs
de légumes - les bras nus, dorés par le soleil et les cheveux se balançant
au gré de sa démarche - A la hauteur d'Alphonse de
Brabant, elle fit une petite révérence en lui disant
: - Bonjour Votre Altesse ! Quel
bonheur de vous trouver ici -
Quel bonheur de vous revoir...répondit-il et il hésita une fraction de seconde
avant de continuer...puis jugeant plus correct, il ajouta, ....vos parents et
vous-même, en ce jour. - Sire, me
permettrez-vous de cueillir quelques fleurs pour enjoliver votre demeure
? - Mais chère enfant, ma joie
est à son comble ! susurra le Prince en saisissant sa main, sur laquelle, il
appuya doucement ses lèvres. Les joues de la jeune fille prirent
un ton de pivoine ; décontenancée par ce geste et ne trouvant rien d'autre
pour se sortir d'embarras, elle appela son chat : - Le chat !...le
chat... Son chat noir ne la quittait guère, il n'était jamais bien loin, il
la suivait partout et dès qu'elle s'arrêtait un peu plus longuement à un
endroit, il s'étalait à l'ombre et l'observait derrière ses yeux mi-clos.
Entendant la voix de sa maîtresse, il courut vers elle et se frotta câlinement
à sa longue robe. L'adolescente le souleva, le serra contre elle et enfouit
son visage dans la fourrure de l'animal qui ronronna à qui mieux
mieux.
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Geneviève n'était pas sotte, elle avait l'âge de comprendre les
premières notions du badinage. Elle s'était bien vite aperçue du petit manège
du Prince. Elle en était flattée car il avait belle tournure, plaisant dans la
conversation et surtout puissant ! Un sentiment étrange l'animait, une
attirance inconnue presque sensuelle éveillait son corps. Ce qu'elle éprouvait
était assez flou et ses premiers émois amoureux comportaient, vu son jeune
âge, un goût prononcé pour le jeu. Ignorant tout de l'amour, de façon
irrésistible, elle s'amusait...elle adorait le faire languir, s'absenter, le
faire attendre des heures... Cachée dans la cabane où l'on rangeait le
bois et les outils de jardin, elle l'observait par l'interstice des planches
disjointes. Ainsi, quand elle tardait trop à se montrer, le Prince
ignorant le petit jeu dont il était l'objet, était fort contrarié, énervé de
cette attente. Et la jeune fille de sa cachette, riait sous cape, en prenant à
partie son chat avec lequel, elle entretenait des conversations interminables
à voix basse : - Regarde, Le
chat, regarde comme il tournicote son mouchoir entre ses
doigts - Regarde, il est tout
rouge ! il s'essuie le front, il a chaud, il doit être très impatient.
Tu penses que je devrais sortir maintenant ? - Tu ronronnes, toi, tu t'en
moques!! - Mon Dieu, je ne sais que faire...s'interrogeait-elle Ce
divertissement qui n'aurait dû rester qu'un plaisir, devenait un réel souci,
il se retournait contre elle, et parfois même, il provoquait une sorte de
mortification... Il arrivait qu'elle s'imposât un défi, " compter jusqu'à
100 " avant de sortir de la cabane. Les yeux fermés, elle
comptait... Seulement, quand la numération était achevée et qu'elle
s'apprêtait à le rejoindre, elle constatait que le banc était vide ainsi que
le verre sur la table, le Prince agacé s'en était allé. La laissant en plein
désarroi, elle était de mauvaise humeur pendant le reste de la journée
et les heures étaient longues jusqu'au lendemain.
Le jour d'après, dès les premières
heures, le mécontentement de la veille s'était envolé et le Prince amoureux
revenait faire sa cour : Tacites retrouvailles, pleines de romanesque, de
charme, de regards tendres et de mains frôlées ! Avec la
permission du Lieutenant, le Prince et Geneviève avaient pris l'habitude de se
promener aux alentours dans la campagne. Quand ils étaient seuls,
Alphonse redevenait homme, débarrassé du poids de son titre, pourtant, le
séducteur invétéré des belles et nobles Dames du Royaume était désarmé devant
tant de fraîcheur. Un magnétisme puissant émanait de cette jeune femme et le
rendait un peu gauche et dépendant. Habitué au cérémonial huppé, il
découvrait la simplicité des choses de la vie courante, il retrouvait à ses
côtés une verdeur, une nouvelle jeunesse tant elle savait le charmer, l'amuser
... tour à tour mutine, joyeuse, raisonnée, sujette à des débordements de
larmes pour des futilités qui pour elle étaient d'une extrême importance : une
rose arrachée et jetée à terre par un cueilleur indélicat, un pauvre moineau à
l'aile sanguinolente. D'une sensibilité exacerbée, rires et larmes se
succédaient ! Le Prince avait trouvé là, matière à la conquérir car pour
la consoler, il lui apportait son cadeau préféré : des fleurs, encore des
fleurs, les plus rares, les plus parfumées. Au bout de quelques
mois, tous deux étaient devenus des amis inséparables, des confidents et ils
ne pouvaient plus se passer l'un de l'autre. Alphonse pensa qu'il était
temps pour eux de s'unir pour la vie. Geneviève répondit ardemment à son
désir d'épousailles. Et le Prince de Brabant fit sa demande en mariage,
dans toutes les règles de l'art, au Lieutenant Martens. Et dans la
Cathédrale Sainte Gudule, au cœur du Brabant, Le Prince glissa au doigt de
Geneviève, un anneau d'or
tressé.
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Chapitre
XIII
Le château
des cygnes
D ans les débuts du mariage, ce fut un conte de fées
pour Geneviève ; accoutumée à une vie modeste en milieu rural et une
éducation militaire stricte que son père l'officier Martens inculquait à
ses enfants, sans pour autant les priver de tendresse, la jeune femme
s'était laissée emportée dans un tourbillon de mondanités, de paillettes
et rutilance qu'elle ne maîtrisait plus. Son époux, le Prince de
Brabant, amoureux fou, la couvrait d'or, de bijoux, de robes somptueuses
et coûteuses car rien n'était trop beau pour sa belle. Elle était la première
Dame du Royaume et il souhaitait que toute sa Cour rende hommage à sa beauté
en obéissant à ses moindres désirs. Pour la distraire, les fêtes au Château des
Cygnes se succédaient, à une cadence trépidante. La Jeune femme, grisée par
tout ce faste inhérent à son rang de Princesse, n'avait guère le loisir de rendre
visite à ses chers parents ; les rares instants où elle se retrouvait seule,
elle en éprouvait une grande affliction. Alors, pour se faire pardonner
d'eux, des lettres et poèmes d'amour écrits sur parchemins, leur
étaient acheminés par son messager personnel. Les parents heureux de recevoir
quelques nouvelles de leur fille bien aimée, lui envoyaient en témoignage
de leur affection, une corbeille de fruits bien mûrs cueillis dans leur
petit jardin.
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Chapitre XIV
La Saint
Jean
Une fois l'an, pour la Saint Jean, le Prince Alphonse de Brabant
organisait des festivités dans la cour du Château. C'était un jour d'exception
où nobles, nobliaux, serfs se côtoyaient et se divertissaient sans
distinction de classe ni de rang. Cette fête champêtre symbolisait les futures
récoltes, pour l'heure, prometteuses. Tous les habitants du village et des
campagnes environnantes montaient au Château ! Depuis qu'il avait succédé à
son père, Alphonse de Brabant remerciait à sa façon, ses sujets, du labeur
fourni durant de longs mois. Ce geste de générosité l'avait fait adopter
immédiatement et apprécier ; c'était devenu une coutume dans le pays. De ce
fait, pour rien au monde, ils n'auraient manqué l'événement, profitant ainsi
d'une rare occasion de s'amuser. Le Prince aimait la terre ; cette
existence campagnarde lui convenait à merveille - il était connu de ces
vassaux comme un bon vivant - En épicurien, il avait un goût prononcé pour la
chair sous toutes ses formes : le bien manger, le bien boire et les femmes.
Pour la circonstance, les servantes et paysannes se paraient de leur
coiffe à rubans de satin multicolores et de l'unique robe de dentelle,
qu'elles exhibaient le dimanche pour se rendre à l'office. Il faut dire
qu'elles étaient belles à plaisir et croquantes à souhait ! Une traînée
rose, délayée à l'encre du ciel, marbrait d'une lueur, l'horizon... le
lever du jour était proche ! Peu à peu, les hautes murailles sortirent de
l'ombre de la nuit. S'égayant à la lumière dorée du soleil naissant, les
vieilles pierres grisâtres semblaient léchées par des flammes ardentes qui
embrasaient toute la paroi Est du château. L'air était doux, une
journée radieuse s'annonçait...
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Tôt le matin
Tôt le matin, la cour du Château
des Cygnes s'anima. Elle devint, d'heure en heure, une véritable ruche humaine
où chacun avait une tâche bien définie à accomplir : les serfs et servantes
s'affairaient autour des victuailles et de l'agencement des buffets ; des
hommes enfilaient des volailles et pièces de viande sur des tournebroches
pendant que d'autres pendaient aux crémaillères, de lourdes marmites de
ragoûts et fricassées de gibiers ; des mitrons, couverts de farine, portaient,
en véritable équilibriste, des piles de pains croustillants ; des
femmes, les bras chargés de vaisselle, dressaient les longues
tables, tandis que de jeunes pucelles les décoraient de panières de fruits et
bouquets de fleurs, en fredonnant des comptines.
La Princesse de Brabant avait exigé
que l'on fasse faucher une parcelle d'un champ de lin, pour agrémenter la fête
de ses fleurs préférées. Leur bleu d'azur, la ravissait, elle n'aurait su dire
pourquoi mais leur pureté, leur simplicité la touchait
profondément.
Elle descendit
personnellement dans la cour pour vérifier si tout avait été
exécuté suivant ses ordres. D'un regard, elle fût charmée par le tableau
bucolique qui se déroulait devant elle : tout ce déploiement de blanc
des nappes brodées fraîchement amidonnées, de ces bouquets de fleurs
bleues parsemés çà et là, de ces campagnardes endimanchées dont le
froufrou des jupons lui parvenait en chuchotements soyeux ! Les musiciens,
joueurs de tambourins, violes, flûtes, fifres, accordaient leurs instruments,
là serrant une corde, ici rafistolant une clochette. Quelques servantes au
sourire radieux esquissaient des pas de danses en vaquant à leurs occupations
; les domestiques se racontaient des histoires drôles et leurs rires
fusaient, se propageant en écho dans ce décor lapidaire.
Ce spectacle mit la jeune femme en
joie, elle savait d'ores et déjà que la fête serait réussie. Elle éprouvait un
sentiment d'exaltation, mêlé d'une impression étrange que ce jour de St
Jean serait différent des
autres...
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Au clocher de la
chapelle
Au clocher de la chapelle, onze
coups se firent entendre. Le Prince et la Princesse apparurent sur le perron.
Ce fut un moment d'intense émotion pour les invités. Alphonse de Brabant, paré
de ses plus beaux atours de satin couleur de saphir, chapeauté de plumes
bleues et blanches, salua avec beaucoup de courtoisie, ses hôtes. Cette
aménité coutumière l'avait rendu très populaire et tous accueillirent le
maître de ces lieux dans un brouhaha d'applaudissements, de cris joyeux, de
musique … Puis s'ensuivit un grand silence quand Geneviève de Brabant
descendit l'imposant escalier de pierre, d'une démarche lente et
majestueuse. Mais quel ne fut l' étonnement de l'assemblée, en constatant
que leur Princesse, qui à l'accoutumée exhibait des toilettes
chatoyantes, voire même époustouflantes, était vêtue, en ce jour
particulier, d'une robe de soie blanche, toute simple, sans falbala, tombant
souplement sur son corps, laissant deviner ses formes juvéniles et gracieuses
! Ses pieds menus étaient chaussés d'escarpins en chevreau blanc, dépourvus de
boucle. Quant à ses longs cheveux soyeux, ils tombaient librement en cascade
sur ses épaules dénudées ; seule, une couronne tressée de fleurs de lin
entrelacées de lierre ceignait son front. Cependant, la surprise passée,
les courtisans ne purent que convenir du charme de la jeune femme dépourvue de
tout apparat. Sur son passage, on entendit des " Oh !... " d'admiration des
Hauts Dignitaires et des toussotements d'envie de la part
des Grandes Dames.
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Le Prince un tantinet
agaçé
Le Prince, un tantinet agacé,
ignora cet accueil enthousiaste qui lui ôtait la primeur. Avec courtoisie, il
prit sa jeune épouse par le bras et la fit asseoir sur une des deux chaires de
noyer poli, installées pour la fête à l'ombre du feuillage d'un
énorme chêne ; il prit lui-même place à ses côtés puis d'un geste ample de la
main, ordonna l'ouverture des festivités.
Aussitôt, les cornemuses aux sons nasillards résonnèrent entre
les hautes murailles du castel, suivies des pipeaux au timbre aigrelet, des
vièles, des frestels, rythmés par le bruit sourd des tambours. S'ensuivit
un défilé, haut en couleur, de vassaux et nobliaux venus saluer pour
l'occasion et selon les convenances leurs Prince et Princesse. Au
changement de partition, la musique se tut, un instant pendant lequel un
souffle rafraîchissant se répandit dans l'enceinte de la citadelle : on
entendit le doux cliquetis métallique des gobelets d'étain débordant de vin
doré s'entrechoquer gaiement sur les plateaux présentés aux convives.
Et les langues se
délièrent... d'abord avec un peu de retenue entrecoupée de rires timides
d'un petit groupe de nobles Dames réunies en cercle puis couverts par les voix
mâles des Gentilshommes conversant bruyamment. Bientôt, la cour du château
se transforma en un marché multicolore et joyeux. Les femmes se laissaient
volontiers courtiser, que ce soit par un marquis ou un domestique peu
importait, le cœur était à la fête ; tout ce beau monde s'encanaillait, le vin
n'y était pas étranger et les couches sociales volaient en
éclat.
Geneviève se sentait légère comme
débarrassée d'un poids imaginaire. Elle avait quitté son siège et se déplaçait
de l'un à l'autre avec une grâce infinie d'adolescente, gaie et
insouciante. Pour ce jour, elle avait déposé ses titres, son diadème de
Princesse, ses robes encombrantes, envahie par une impression de renaître à la
vie, lavée et purifiée de la lourdeur du protocole, de retrouver son enfance
lorsqu'elle gambadait dans le petit jardin fleuri de ses chers parents - Une
sensation identique à celle qu'elle éprouvait lorsqu'elle s'immergeait à
l'abri des regards dans l'eau douce du petit lac avoisinant la maison de son
père.
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Le temps d'une danse
Les musiciens, le visage rougi
et luisant, échauffé par la chaleur ambiante, avaient fait une pause sous
l'ombrage des noisetiers. Ils se désaltéraient d'une chope de cervoise
pétillante de mousse quand un Officier fortement éméché s'approcha d'eux
réclamant d'une voix tonitruante une farandole. Les paysans, les valets, les
servantes scandaient tous à tue-tête en tapant du
pied
" Une ca-ro-le ! Une ca-ro-le ! " Sur leur requête, les faiseurs de
musique passèrent à un répertoire plus populaire avec une carole
endiablée - danse qui continua d'enflammer l'atmosphère et d'exalter les
esprits - la chaîne se mit en branle, chacun attrapant au vol son voisin par
la main, les épaules ou la taille. Les femmes, les hommes, de tout âge et
classe confondus, sans gêne, se mélangeaient, se trémoussaient, faisant
virevolter jaquettes, robes et jupons. Au milieu d'eux, Geneviève
dépourvue de cavalier, son époux trop occupé ailleurs à pavoiser parmi ses
courtisans et courtisanes, paraissait ballottée de l'un à l'autre ; tantôt
bousculée par une dame échevelée, tantôt s'emmêlant à des danseurs
déchaînés. Un monsieur lui écrasa ses pauvres pieds, maladresse qui
lui arracha un cri de douleur et l'irrita fortement ; elle tenta vainement de
se dégager de cette foule remuante sans pourtant y parvenir.
Soudain, avant qu'elle ait pu
réaliser d'où avait surgi l'homme qui se tenait devant elle et l'avait saisie
par la main, elle se retrouva en moins de deux, prisonnière de ses bras.
L'homme était grand, il la dépassait d'une bonne tête, ce qui obligea la
Princesse à lever le menton pour distinguer le visage de son sauveur
inattendu. Inondées de soleil, des prunelles gris-vert, frangées de cils
pâles, la contemplaient. Subjuguée par leur magnétisme, elle ne put articuler
un mot (qui par ailleurs n'aurait pas été ouï tant le brouhaha avait atteint
son paroxysme. Des lèvres puissantes, entrouvertes sur des dents
étincelantes, lui souriaient d'une façon entreprenante, quasi provocante ;
l'inconnu semblait sûr du charme qu'il opérait sur la jeune femme. Une
chevelure mi-longue aux reflets de blé mûr finissait de camper ce personnage
qui paraissait sortir des Grands Espaces aux steppes arides où le vent
balaie le sable et burine les visages. La Princesse blottie contre
le torse musclé de son cavalier se laissait guider, toute réticence envolée,
transportée par les bras vigoureux. Elle remarqua la tunique bleu ciel,
nuance de sa fleur préférée, le lin, séduite par cette coïncidence, elle
ne manqua pour la seconde fois de la journée d'y voir un signe du destin, mais
lequel.... Les mains du bel inconnu posées sur ses hanches paraissaient la
caresser à travers la fine étoffe de sa robe; elle en percevait leur chaleur
un peu moite et grisée par ce contact, elle perdit le sens de la réalité tant
et si bien que la danse s'était achevée sans qu'elle eut repris ses esprits.
Brusquement l'homme la lâcha, s'inclina devant elle en une galante
révérence puis s'éloigna.
La jeune Princesse se retrouva
seule et désemparée au milieu de la cour du château, ses membres
inférieurs comme tétanisés n'obéissaient pas à son désir de se fondre
dans la foule pour cacher son émoi. Elle restait figée
!
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fffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff
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fffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff
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Prise sur le fait
Une
comtesse vêtue d'une robe de moire framboise extravagante, encombrée de petits
nœuds verdâtres au goût douteux, s'approcha de la Princesse, un sourire
goguenard aux lèvres. De son éventail de plumes roses, elle lui toucha le
bras. Surprise par ce frôlement chatouilleux, Geneviève sursauta; sortant
brusquement de sa torpeur, elle fixait la demoiselle effrontée (qui n'était
autre que Madame de Beaulieu, une de ses dames de compagnie), les
sourcils froncés et l'air
interrogateur. - Son Altesse est toute
pâle ! Veut-elle un peu d'eau fraîche ? lui
susurra-t-elle. - Il commence à faire chaud, en
effet ! le soleil est au zénith, répondit la Dame en blanc tout en se
dirigeant vers un coin ombragé du parc où le bruissement d'un ruisseau qui le
traversait en ondulant mollement, apportait sa douce note de romantisme
et de fraîcheur ; elle y trempa son petit mouchoir de dentelle et se
tamponna le front.
La courtisane ravie de
l'opportunité qui lui était offerte en ce jour de Fête de la Saint Jean, de
faire la conversation à sa noble Maîtresse, sans souci du protocole, avait
saisi l'anse d'une aiguière d'étain immergée dans un baquet d'eau glacée ;
elle emplit un verre qu'elle lui tendit en poursuivant son bavardage sur un
ton mielleux où les sous-entendus n'étaient guère absents
:
- Il
dansait merveilleusement bien votre cavalier, Votre Altesse, et comme il a
belle tournure... - Je ne le connais point. Est-il
quelqu'un de la Cour ? demanda Geneviève, avec un ton parfaitement détaché qui
ne leurra point cependant, Madame de Beaulieu. -
Comment ! Vous ne l'avez pas reconnu ? Mais c'est le Chevalier de
Klendhatu… - Ah vraiment ! mais... bredouilla
Geneviève, fort troublé. Par bonheur, sa dame de compagnie poursuivait
son verbiage, la tirant ainsi de son embarras. - On
ne parle que de lui dans les salons, son fief de Klendhatu est un des plus
paradisiaques… du Royaume, s'exclama-t-elle avec une pointe de provocation
due à l'accentuation emphatique du mot " Royaume ". Mais la Princesse
n'écoutait plus que d'une oreille distraite ces papotages insipides, elle
cherchait du regard le Chevalier ! En une fraction de seconde, son cavalier
avait pris une importance nouvelle par l'annonce de son titre : il était
donc Chevalier. Ses yeux le dénichèrent au milieu d'un groupe de notables et
de soldats, une chope à la main ; il riait à pleines dents d'une plaisanterie
émise par l'un d'eux.
Eut-il à
cet instant précis transmission de pensée entre les deux jeunes gens? Un
fluide qui se répandait tel un fil conducteur les reliant l'un à l'autre ou
tout simplement était-ce une coïncidence ? Klendhatu s'arrêta net de rire en
l'apercevant dans ce décor bucolique, assise telle une bergère, au bord de
l'eau, à même la mousse vert tendre. Se rendant compte que la belle Demoiselle
l'observait pareillement, il lui sourit de façon charmante presque complice.
Le visage de Geneviève s'empourpra, elle aurait voulu disparaître à dix pieds
sous terre. Le Chevalier déposa sa chope de cervoise sur une table voisine et
lentement s'avança vers elle, néanmoins, arrivé à la hauteur des deux dames,
il vit la Princesse, décontenancée d'avoir été prise sur le fait, s'éloigner
précipitamment, laissant la Comtesse en plan.
Bien que contrarié par cette
attitude, il se ravisa et ne put faire autrement, sous peine d'impolitesse,
que d'inviter une Madame de Beaulieu, aux anges, et qui ne se fit pas
prier pour relever ses jupons dans une gigue
trépidante.
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Un Fruit défendu
La
Princesse de Brabant troublée par cette rencontre fortuite était allée
rejoindre son époux attablé avec d'autres convives, dévorant de bon
appétit de la volaille rôtie à la broche et du gibier en sauce. Elle
prit place à sa gauche, car à sa droite, une courtisane minaudante et
mielleuse à souhait accaparait toute l'attention du Prince non indifférent à
ses charmes, ce qui ne l'empêchait d'ailleurs pas de se lécher les doigts avec
vulgarité " Alphonse de Brabant était bien connu pour apprécier la
bonne chair, sous toutes ses formes ! ! ! " A peine Geneviève
s'était-elle installée et s'apprêtait-elle à déjeuner qu'en face d'elle
s'assit le Chevalier de Klendhatu, avec une assurance non déguisée. Il
avait chaud, sur son front perlaient des gouttes de sueur à laquelle la danse
avec Mme de Beaulieu n'était pas étrangère. Sans se soucier du Prince trop
occupé, le Chevalier posa sur la belle princesse un regard ardent, enveloppant
qui en disait long sur les sentiments qui l'animait. Geneviève se sentait
mal à l'aise, elle s'agitait sur son siège cherchant comment se soustraire à
ce regard insistant empreint d'une grande douceur : - Que lui
voulait-il à la fin ? C'était agaçant d'être l'objet d'un homme autre que son
mari ! bien que flatteur .... Elle finit par baisser les
yeux et pour se donner une contenance apercevant devant elle un
compotier débordant de fruits, allongea la main pour saisir une grappe de
raisin noir aux grains givrés. de Klendhatu avait deviné son geste; ne pouvant
réprimer un désir fou de la toucher, il avança prestement sa main comme s'il
voulait lui aussi prendre un fruit. Leurs doigts se frôlèrent. Ce contact
répandit dans leur corps un frisson tel, qu'ils se contemplèrent pour la
première fois, surpris de son intensité.
Quelqu'un lança tout haut
: - Patrice ? pourriez-vous, cher ami,
nous rappeler le jour de la cérémonie de remise des médailles d'honneur ?
Les soldats qui mangeaient et buvaient bruyamment s'étaient tus, attentifs
à sa réponse mais Patrice paraissait ne pas avoir entendu la question,
il ne disait mot, absent au monde qui l'entourait ; il était dans un ailleurs
où brillaient tels des joyaux les yeux de la Princesse.
Un ange passa... Ce calme
soudain, semblable à un zéphyr rafraîchissant, ramena la Princesse sur
terre où elle se crut observée par tous. Elle se leva d'un bond en
s'excusant, prétextant un léger malaise dû à la chaleur de ce début
d'après-midi. Après son départ, la joyeuse tablée reprit ses rires,
ses bruits de gobelets, le château résonna de chansons aux accents paillards.
Le Chevalier malgré son irrésistible envie de suivre Geneviève, passa sa
fièvre sur le raisin qu'il croqua à belles dents, faisant gicler le jus sur
son menton et sur son voisin de table qui avait suivi la scène, et qui n'était
pas dupe ; en se tournant vers lui avec un rire sous cape, il lui dit "
Attention Patrice ! c'est un fruit juteux mais défendu "
Pour toute réponse, de Klendathu se
mit à chanter gaiement avec la troupe de lurons.
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Partie de
cache-cache
Aussitôt hors de vue, la
Princesse se précipita à l'intérieur du château. Elle prit un couloir
désaffecté qu'elle avait l'habitude d'emprunter pour faire une halte
rafraîchissante. En son milieu une petite fontaine déversait sans fin un filet
d'eau bavarde ; elle immergea ses mains échauffées et aspergea son visage en
feu. Sa respiration accélérée se ralentit ce qui lui permit de reprendre ses
esprits en savourant avec délice cet instant de paix : - Quel était cet
étrange émoi jamais éprouvé qui avait submergé son être ? … elle n'aurait su y
répondre. - Que signifiait cette attirance, cette attraction envers un
homme dont elle ignorait hier encore, l'existence ? Son époux avait pris
toute la place dans son cœur et elle l'aimait profondément pour sa tendresse,
ses gestes protecteurs à son égard ; plus âgé qu'elle, il remplaçait le père
dont elle était séparée depuis ses épousailles. Là, c'était autre chose,
il y avait un goût d'interdit. Sa sérénité du petit matin s'était envolée
tant il lui semblait inconvenant qu'une princesse mariée à un seigneur laisse
paraître son trouble en public : cela manquait de dignité ! Coupable par la
pensée, certes, mais après tout, n'était-ce pas cet homme aux yeux poudrés
d'or qui la harcelait !!! Cela ne pouvait durer ! Elle le lui dirait !
Pourtant, et sans conteste, comme il lui était agréable de se sentir
convoitée ! Comment lutter contre cet emportement du cœur et du corps lorsque
le regard du Chevalier se posait sur elle ; un regard qui l'enveloppait d'un
manteau de douceur. Et puis, ce contact ! Un frisson la parcourut en y
resongeant. Elle était perdue dans ses pensées, en proie à une confusion de
sentiments contradictoires teintés de révolte, de honte mais aussi d'extrême
excitation, quand elle perçut un bruit sonore de bottes qui résonnaient sur le
pavé. Elle se cacha précipitamment dans le renfoncement d'une porte, son
souffle retenu, le dos plaqué contre le bois rude, espérant ainsi se
rendre invisible. Devant elle, passa le Chevalier... De
Klendhatu en homme entraîné aux affaires de la guerre sentit une présence. Il
s'immobilisa à sa hauteur et scruta la pénombre ; il décela une silhouette
blanche presque phosphorescente qu'il eût nulle peine à reconnaître en elle la
Princesse de Brabant l'ayant vue de loin pénétrer dans le castel. Des yeux
larmoyants de biche traquée et apeurée le fixaient. Bouleversé par cette femme
terrorisée à l'allure enfantine, il se trouva démuni. Il se tenait
devant elle les bras ballants comme un adolescent pris en faute ; sa superbe
avait fondu comme neige au soleil. Ne sachant que faire et prenant
conscience qu'il était son subalterne, qu'elle était Princesse de rang, il mit
un genou à terre en signe de soumission puis lentement se releva,
osa un pas vers elle et tendit la main espérant qu'elle la
saisirait, mais elle profita de ce mouvement pour prendre la fuite laissant le
Chevalier, pantois
! o - o
Une vraie partie de cache-cache se
jouait entre les deux jeunes gens. Pour la seconde fois, Geneviève essayait de
lui échapper, courant aussi vite que ses fines chaussures le lui permettaient,
parcourant les couloirs déserts, cherchant la sortie, la clarté du jour, la
luminosité du soleil, la chaleur de la fête. Enfin elle se retrouva dans la
cour du château, hors d'haleine, les joues rosies, échevelée. Il lui sembla
avoir évité un danger ; ces courtines ne lui étaient pas inconnues mais son
affolement lui mettait la tête à l'envers et il lui avait semblé être égarée
dans un labyrinthe de
chicanes.
o - o Dans la grande salle de réception régnait une cacophonie indicible,
rires sonores, voix graves mêlées de tonalités haut perchées. Les musiciens
grattaient leur viole, des troubadours chantaient, on ne voyait que leur
bouche remuer, les paroles d'amour courtois s'éparpillaient dans
l'indifférence générale. Des gentilshommes et belles dames dansaient,
d'autres jouaient au Jacquet, beaucoup buvaient et mangeaient, les visages
étaient déformés, luisants sous l'effet de la chaleur ambiante. La
vulgarité paraissait de mise Parmi les courtisans, elle reconnut le surcot
bleu saphir et la tunique de soie ivoire de son époux en
conversation animée avec un vassal. Elle se fraya un passage entre les couples
et vint se blottir contre lui. Le Prince sursauta légèrement au contact de sa
jeune femme, il lui entoura la taille d'un geste tendre et déposa un baiser
appuyé sur ses cheveux d'or. - Ma mie, où étiez-vous donc ? Je vous
ai cherchée, dit-il en mentant avec son assurance royale. Un peu
déconcertée par la question, elle balbutia : - Mon cher époux, il fait
si chaud ! voyez mes joues ! et elle éclata d'un petit rire léger que le
Prince adorait - Je suis allée me reposer à l'ombre des grands
chênes. Caressant, il lui releva sa blonde chevelure et l'embrassa
fougueusement sur la nuque. - Venez ma douce, venez-vous désaltérer,
une citronnade vous fera le plus grand bien, elle n'égalera pas celle de votre
mère mais vous rafraichira agréablement et… Il ne termina pas sa phrase, il
lui prit la main et l'entraina parmi les danseurs qui s'écartèrent sur
leur passage. Il héla un écuyer qui s'empressa de leur apporter deux
citronnades bien fraîches. La boisson apaisa sa fièvre, Geneviève reprit
peu à peu ses esprits. De Brabant la couvait des yeux pendant qu'elle sirotait
à petites gorgées sa citronnade, ses jolies lèvres rougies par la chaleur
émettaient un petit bruit de succion qu'il trouva charmant. Quelques mots
susurraient à son oreille, la Princesse mimant l'offuscation, les yeux soudain
agrandis, la bouche arrondie, elle le suivit. Comment résister aux
caprices amoureux de son époux ? Instinctivement elle baissa la tête, un peu
gênée, chacun pouvait deviner où leurs pas les conduisaient…
Quand elle se trouva à la hauteur du Chevalier, le port altier, elle
releva la tête, sur ses lèvres un sourire vainqueur. Elle remarqua son regard
chargé de sentiments divers, ses yeux gris-vert étaient mélancoliques.
o - o Au campanile, six coups lents et clairs résonnèrent en cette
fin d'après-midi. C'était l'heure pour les gens du village de regagner leur
chaumière - la fête était finie - seuls les notables étaient conviés au souper
qui se déroulerait dans un petit pavillon attenant au château où les cheminées
seraient allumées, réchauffant de leur éclat et joyeuses flambées, les
cueilleurs nocturnes. Des servantes s'affairaient, débarrassant les
tables jonchées de déchets de nourriture qu'elles jetaient aux
chiens, cochons et volailles. Elles balayaient et lavaient à grande
eau les planchers. D'autres femmes recouvraient des tréteaux
de doubliers impeccablement amidonnés sur ordre du Prince De Brabant qui
aimait faire honneur à ses invités en leur offrant le meilleur et le
plus beau. L'échanson disposait çà et là des aiguières remplies de vin et
d'eau fraiche. Pendant ce temps, à l'extérieur, les domestiques préparaient
les torches et les flambeaux. Des paniers d'osier s'amoncelaient dans un
coin de la cour carrée car il était coutume d'aller à la tombée de la nuit
dans les bois environnants cueillir les herbes de Saint Jean : l'armoise,
l'angélique, l'achillée millefeuille, pervenche... Ces plantes médicinales aux
vertus magiques serviraient à élaborer des onguents, des potions, des tisanes
bienfaitrices, des huiles essentielles parfumées. Le rituel voulait que la
cueillette se fasse avant le lever du soleil sous peine que les rayons
n'atténuent les propriétés des herbes appelées à guérir, à soulager douleurs
et fièvres.
Dans les bois, l'air avait fraîchi,
on entendait des bruissements d'herbe foulée, de branchages écrasés, quelques
rires par-ci par-là. Son panier d'osier sur le bras, la Princesse Geneviève
exigea que ses deux femmes de chambre marchent à ses côtés et ne s'éloignent
pas d'elle. Elle ne rencontra pas le Chevalier durant la promenade, la
cueillette des fleurs sauvages lui fit oublier ses tourments. C'était un
bonheur de respirer les senteurs, de froisser la menthe sous ses doigts, de
torsader les tiges de lierre pour s'en faire des couronnes. L'heure
avançait, les bosquets s'étaient parés d'une ombre crépusculaire fantomatique,
il fallait rentrer au Château des Cygnes : le dîner attendait tout ce beau
monde. Durant celui-ci, la Princesse chercha désespérément Patrice parmi
les hôtes attablés mais il avait disparu. Elle en fut bien malgré elle,
contrariée...et Mme de Beaulieu n'était pas là non plus : étaient-ils partis
ensemble ?
Cette nuit -là, la Dame en blanc se
laissa choir sur son lit toute habillée, épuisée par toutes ses
mésaventures.
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Chapitre
XV
Amère
surprise
bientôt la
suite...
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